La poupée-tigre débarque sur la scène musicale française et je suis ravie d’avoir pu échanger avec elle. Thérèse est un ovni qui a surgi de nulle part. Enfin pas vraiment, mais elle va nous en parler. Elle a su d’emblée imposer son style. Une jeune femme bien dans son temps, activiste assumée, féministe, mais avant tout humaniste. Un son et un style vestimentaire bien à elle, un franc-parler et une liberté de ton qui fait d’elle déjà la porte-parole, un peu malgré elle, d’une communauté asiatique meurtrie par les récentes vagues de violence qui ont pris pour excuse la pandémie du Covid. Thérèse est une artiste multiple qui vit son art avec passion, le nourrit de ses expériences de citoyenne, de femme, de créatrice de mode, bref de tout ce qu’elle est. Il émane de Thérèse une force tranquille, une sensibilité que je vous invite à la découvrir dans cette interview-confidence qu’elle m’a accordé il y a quelques semaines.
Thérèse, tu es une artiste multi-casquettes, musicienne, styliste, activiste. Est ce que tu donnes la même place à ces différentes activités ?
C’est difficile de répondre parce que pour moi, tout va dans le même sens, c’est la même idée. Je jongle entre mes différentes casquettes. L’activisme est un mot assez fort et à la mode, j’aurais plutôt tendance à dire que je suis une artiste engagée. J’ai organisé ma vie pour pouvoir être musicienne. Je n’attends pas de la musique qu’elle me rapporte de l’argent, même si je le souhaite. Si j’avais voulu en gagner dans cette industrie, j’aurais fait autrement, en rentrant un peu plus dans les codes, que ce soit dans le format ou l’image, être un peu plus lisse. Mais j’ai 34 ans, j’ai plus d’expérience, car j’ai commencé finalement tard dans une industrie qui prône un certain jeunisme et ça me permet d’appréhender les choses différemment.

D’où t’es venu ton goût pour la mode ?
Pour la mode, ma mère m’a raconté que j’avais toujours eu ce goût. Quand j’étais petite, je passais ma life dans l’armoire de mes parents à essayer leurs fringues. J’ai toujours fait attention à la façon dont je m’habillais, même si je suis passée par des périodes compliquées (rires), je crois simplement que ça m’amuse. Je me souviens que lors de ma prépa au lycée Hélène Boucher à Paris, je me suis sentie obligée de transformer la banlieusarde que j’étais en parisienne. Aujourd’hui, on va dire que je suis un mix de toutes ces expériences, qui se sert de la mode comme une arme !
Raconte-nous ton parcours musical?
Je suis fille d’immigrée, mes parents sont arrivés du Laos à la fin des années 70. Ils se sont rencontrés à Paris. J’ai grandi pas mal en banlieue, notamment à Vitry. Mes parents ont monté un commerce d’alimentation générale spécialisé dans les produits d’Afrique, d’Asie et des Antilles. Du coup, j’ai grandi dans un environnement multiculturel. A l’école, j’avais déjà une vraie ouverture d’esprit grâce à ça. J’étais plutôt bonne élève, j’ai étudié le chinois, et j’ai commencé le piano à 10 ans au conservatoire, ainsi que le solfège et un peu de chorale avec le chef d’orchestre Pierre Molina. J’ai arrêté avant les examens à la fin du second cycle. J’avais envie à l’adolescence de faire autre chose que deux à trois heures de piano par jour. Trop de contraintes, je me suis servie de l’excuse de la prépa HEC.
Je suis ensuite partie à Lyon, faire une école de commerce, même si j’avais demandé à faire une école d’art, mais mes parents ne m’ont pas vraiment écoutée :). Lyon, c’était un peu la liberté parce que chez moi, c’était très strict. En plus être l’ainée, être une fille et asiatique… le combo! Pendant cette période, j’ai eu la chance de devenir présidente du bureau des arts de l’école pendant un an. On avait plein de partenariat avec des théâtres, des opéras. Ça m’a ouvert l’esprit. Moi qui avais grandi avec la télé, là, je découvrais un autre monde. Il y avait un local de musique à dispo et c’est là que j’ai rencontré des gens comme moi qui avait arrêté la musique et j’ai commencé à écrire des chansons, à les présenter dans des café-théâtres. Je me suis rendu compte que la scène me donnait une adrénaline incroyable. De retour à Paris après mes études, j’ai commencé à jammer, à faire des petits concerts. Puis, j’ai passé trois ans en tant que lead du groupe LA VAGUE avant de me lancer en solo.
Tes parents sont musiciens ?
Mon père joue de la guitare, de la batterie et il chante, mais en amateur. Pour lui, c’est un hobby. Ma mère chante comme une casserole.
As-tu commencé à écrire en anglais tout de suite?
Oui, mon éducation musicale a été en majorité anglo-saxonne. J’écris en français, en anglais et en chinois. Le prochain titre sera en français et chinois d’ailleurs.
Quelles sont tes influences ?
Mon premier disque, c’était Cat Stevens, offert par mon père. En primaire, j’ai découvert TLC, tous les boybands, et girlsband. Beaucoup de rock aussi, Radiohead, System of a Down, Nirvana, Massive Attack, Porstishead, plein de rap US mais aussi le 113 puisque j’étais Vitriote. Mais j’ai toujours été très girl power : Britney Spears, Madonna (plus pour son image que pour sa musique), Missy Elliott. Par contre, je ne suis pas team Beyoncé, c’est trop parfait, je préfère Rihanna (rires). Des influences, j’en ai trop.
T.O.X.I.C , ton premier single sorti en juillet est un objet vraiment à part, avec un clip très beau, quels sont tes prochains projets et avec qui travailles-tu?
Mon single « Chinoise ? » sort le 10 décembre. Il mixera le français et le chinois et un EP 7 titres en mars normalement. Je travaille avec Adam Carpels, que j’ai rencontré via la Couveuse, mon label. On co-compose. Je sais souvent ce que j’ai envie de faire en terme de direction artistique et après je m’entoure de gens pour matérialiser l’ensemble. J’ai commencé à écrire pour moi pendant le premier confinement, mais un peu par hasard. J’ai ça montré à La Couveuse et à Adam et ils ont été enthousiastes. Ils m’ont lancé le défi de sortir le projet avant l’été dernier! Je travaille aussi avec le réal et mixeur Alexandre Zuliani, on est un peu un trio. Et évidemment au niveau de l’image, je travaille avec mon ami Charlie Montagut et une équipe qu’on est entrain de monter. Construire cette famille, ça s’est fait par couche dans le temps, dans un vrai désir de collaboration à long terme. Sur cet EP, on a été vite, parce que je savais déjà qui j’étais, ce que je voulais dire et l’équipe aussi. C’était évident.
Pour pré-sauvegarder son prochain single « Chinoise ? » qui sort le 10/12
http://ditto.fm/chinoise
Niveau look , l’as-tu retravaillé pour le projet?
J’ai un peu rectifié le tir par rapport à La Vague, mais c’est toujours moi : j’oscille entre la « girl next door » et une créature multiple un peu turfu-goth.
Parlons un peu du message posté par le Collectif Asiatique Antiraciste que tu as relayé sur les réseaux en octobre dernier. Ca t’a semblé évident de le faire ?
Ça fait quelques années que je suis dans ce genre de mouvements en électron libre et ça a commencé par un rapprochement avec l’Association Jeunes Chinois de France (AJCF). Mon implication date de l’assassinat de Zhang Chaolin à Aubervilliers en 2016. Ca été un tremblement de terre pour la seconde génération de Français d’origine asiatique. On a tous subi du racisme ordinaire étant petits. Mais tu te rends compte en grandissant de la violence de certains propos et de l’ignorance des autres cultures quelles que soient les classes sociales. En ce qui concerne ce message, il y a eu en octobre, une vingtaine d’attaques recensées en une semaine. Sans compter ceux qui ne portent pas plainte. Je me suis retrouvée à faire des plateaux télé pour parler de ça lors de la première vague du Covid. Je n’avais pas prévu de me retrouver aussi exposée.
Je ne sais pas si je peux dire que c’était «évident» pour moi de le faire, car ça demande une certaine énergie psychologique de porter ces messages, mais on nous donne bien trop peu souvent la parole sur ce sujet pour ne pas saisir les occasions. C’est plus facile de trouver un coupable, trouver une cible pour déverser ta haine. Plutôt que de réfléchir et se rendre compte que les asiatiques de France n’ont pas à porter la responsabilité du Covid, ni les décisions du gouvernement chinois. Il faut se rendre compte que les paroles des politiques, les médias, qui relayent cette peur, montent les gens, les uns contre et entretiennent le racisme intercommunautaire et les divisions.
Tu n’as pas eu peur que tu sois trop rattachée à ce sujet dans les médias et que ça occulte ce que tu fais artistiquement ?
Non parce que tout est lié chez moi, le prochain single parle de ça et je crois que les gens qui me suivent, qu’ils soient d’accords ou pas, me suivent parce qu’ils sont ouverts à ça, qu’ils décloisonnent les choses. J’assume le fait de rendre politique la culture.
Quel rôle l’artiste a à jouer dans la société ?
C’est une question cruciale aujourd’hui. Pour ma part, on est là pour offrir notre vision du monde et interroger les gens sur la leur.
Tu parles aussi beaucoup de féminisme inclusif. Peux-tu nous en dire plus?
Le féminisme historiquement a souvent exclu les homme. Je trouve que ce mouvement s’est un peu radicalisé dans certains groupes. Mais moi ma volonté c’est de rassembler et d’avancer tous ensemble. L’important c’est de comprendre ce qui bloque chez les hommes et vis et versa et de travailler ensemble. Le féminisme historiquement a souvent exclu les hommes. Je trouve que ce mouvement s’est un peu radicalisé dans certains groupes. Ma volonté c’est de rassembler et d’avancer tous ensemble. L’important c’est de comprendre ce qui bloque chez les femmes/hommes et vice et versa et de travailler ensemble.
Comment le rapportes-tu à ton identité culturelle?
La culture asiatique est beaucoup moins machiste que les sociétés occidentales. A la maison, c’est ma mère qui gère l’argent. Le pouvoir de décision et l’autorité sont plus dilués. Mon père a bossé dans le commerce équitable pendant quinze ans et du coup ma mère nous a élevé au quotidien. J’ai toujours cru à la possibilité des femmes de faire des choses par elles-mêmes. Elle m’a donné beaucoup de force ce petit bout de femme.
Revenons à la musique, quel est ton rapport à la scène ?
Avec La Vague, on a fait une quarantaine de dates pendant trois ans. J’adore ça, même si je ne suis pas toujours contente de moi. Mais ce n’est jamais pareil d’une scène à l’autre, que ce soit la salle, le public, ton humeur, si t’as tes règles ou pas. J’ai toujours des repères pour enchaîner les morceaux, mais entre ses marqueurs, je me laisse la possibilité de faire ce que je veux. On prépare tout en amont avec Adam et Théo, donc on a une setlist. J’ai prévu des chorés aussi. Le prochain concert est prévu le 24 janvier 2021 à Montreuil, à la Marbrerie. On va aussi faire une résidence à la Cave aux Poètes à Roubaix.
Dans ta loge idéale on trouve qui ou quoi ?
On trouverait à manger beaucoup pour après le concert, pleins de graines, du chocolat très noir, de la tisane. C’est pas très rock’n’roll. Mais aussi des bons alcools et des bonnes pizzas. Il y aurait Kendrick Lamar, Thom York (Radiohead), Rihanna, Bjork, Kanye West, M.I.A, mon équipe, ma famille, mes potes et des chats. La présence d’un animal dans une pièce nous ramène à notre état de mammifère et c’est révélateur de ce que sont les gens.
C’est pour ca qu’on t’appelle la poupée-tigre ?
C’est mon signe chinois, et c’est un animal que tu crains autant que tu as envie de lui faire des câlins. En plus, on distingue difficilement le mâle de la femelle. C’est moi qui me suis appelée comme ca (rires).
Sur ta scène idéale, on trouve qui ?
Les mêmes que dans ma loge, j’aimerais bien voir à quel point je me sens petite avec ces gens-là, je serais curieuse de voir ma réaction face à des gens avec une telle aura. J’ajouterais Gainsbourg, Barbara, Amy Winehouse.
Le temps vient de s’arrêter, tu peux choisir un moment qui a changé ta vie ?
Le premier confinement, c’est là que j’ai décidé d’assumer ce que je voulais dire toute seule, sans personne et face au public. Je me sens de plus en plus libre, c’est vers ça que je tends.
Je t’emmène sur Mars, tu emmènes qui ou quoi avec toi ?
Je crois que j’amènerais des gens, parce que c’est ce qui me donne de la force. Les gens que j’aime, tous ceux qui étaient dans la loge en fait.
Peux-tu nous partager un moment embarrassant, amusant ou surprenant vécu sur scène ?
J’étais allée jouer à l’Ecole Centrale à Lyon. Ils m’avaient invité à venir chanter avec un groupe. Je vais aux toilettes juste avant de monter sur scène, et en sortant tout le monde me regardait bizarrement. Comme il y avait beaucoup de mecs dans cette école, je me suis dit que c’était parce que j’étais une fille qu’ils me dévisageaient. Finalement, une nana vient me voir pour me dire que je n’avais pas bien remis ma jupe qui était coincée dans mon collant chair. Du coup, tout le monde a vu mon cul avant de monter sur scène (rires). Après ça, j’avais plus grand chose à craindre
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Thérèse fait partie des 10 finalistes du prix Société Pernod Ricard France Live Music, vous pouvez voter pour elle jusqu’au 18 janvier !!
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Thérèse – Credits photo Marilyn Murgot